L'esprit Nimier

Nimier rit de tout. Il a une façon toute à lui de rire qui me fait penser à celle du croyant qui rit de l’athée… Il ne suit ni l’intérêt du moment, ni sa mode.  Curzio Malaparte, 14 février 1949

L'homme sans limites

Roger Nimier s’est essayé au roman, à la nouvelle, à l’essai, aux scénarios, à la correspondance ; chacun de ses textes faisait fi des limites habituellement établies par ces genres.

Roger Nimier à l'âge de 23 ans
Roger Nimier à l'âge de 23 ans

Comme le disait Alexandre Vialatte : Nimier passait en foule, se refusant à une spécialisation étriquée susceptible d’étouffer l’intention et le souffle d’un texte. De la même manière, Nimier se tenait hors.

Hors des causes triomphantes, des partis pris, des reniements, des illusions sur une quelconque grandeur nationale, sur une intrinsèque bienveillance de l’homme pour l’homme, des aînés pour les nouvelles générations, ou de manière plus large de la société pour ses ouailles.

Hors d’un pessimisme ronronnant et du c’était mieux avant, Nimier était audacieux, exigeant dans le ton et la forme de ses textes, dans ses lectures, dans ses relations aux autres.

Nimier vomit les tièdes

En recherche de vérité, flegmatique, distancié, il était féroce envers les tièdes. Ses œuvres sont singulières et audacieuses, en marge. Sotties cherchant l’universel dans le singulier du destin d’un personnage. Il rejetait les écoles, et une société où les adultes, ces professeurs de morale, façonnaient des enfants tristes.

Sans complaisance envers lui-même, il l’était également envers les importants, les sots et les habiles, qu’il démasquait avec jubilation car l’écriture révèle l’âme de l’homme. Riant de tout, refusant - par pudeur - le tragique comme le lyrique, se gaussant d’un certain romantisme initiatique comme de la distance réaliste qui empêche l’incarnation du texte, il se moquait plus généralement du monde et de ceux qui s’en gavent.

Je bouscule les faits qui sont du sable, les dates, tout juste bonnes pour finir dans l’évier des livres, avec la vaisselle sale et la vieille mémoire.

Maître dans l’art du pastiche, admiratif d’aînés comme Retz, Constant, Joyce, Proust, Céline…  Nimier savait, et savait oublier qu’il savait quand il écrivait.

Distance ironique

À une époque où les mots avaient été délavés par le roman national à force d’avoir été utilisés, il plaça au dessus d’eux un narrateur distancié dont le flegme était la marque de fabrique. La guerre… la morale…

Pour ne plus se laisser avoir, la morale se devait de résider non pas dans les thématiques de ses livres mais dans un ton : l’ironie, cette mise à distance qui permet le temps de la réflexion comme le dit si bien Jankélévitch. Une esthétique suppose une éthique.

Roger Nimier photographié par Henri Cartier-Bresson
Roger Nimier photographié par Henri Cartier-Bresson

L’œuvre de Nimier, fauché par la mort à 37 ans, est une intention. Fleur, plus que fruit. Ainsi, les livres qui se revendiquent de son esprit n’ont pas le devoir de la perfection. Mais ils doivent, en germe, contenir :

fougue

facéties

désinvolture pudique

mélancolie audacieuse

lucidité

allant.

Avoir ce ton mutin, humide et sec à la fois

sans autre bagage et certitude que ses propres souvenirs.

Cet esprit enfantin embrochant vif, sur l’acier de ses formules.

Capable de férocité comme d’admiration de rendre grâce à l’amitié, l’amour, la chair, l’enthousiasme, la littérature et la vitesse.

Ces mots de Geneviève Dormann résument à merveille l’esprit de Roger Nimier :

Car il était nomade, il refusait les maisons, les familles et les partis, tout ce qui attache, tout ce qui retient, tout de qui alourdit. […] Semblable à ce chevalier de la table ronde qui reprenait des forces quand le soleil baissait, il devenait étincelant au crépuscule. Il est vrai qu’il était né sous le signe du Scorpion qui n’aime pas la lumière. Donc, il devenait lumineux tous les soirs. Il décrochait son téléphone, changeait sa voix et commençait à faire des farces à tous les gens sérieux qui l’ennuyaient et qu’il appelait les grandes personnes. Les grandes personnes étaient : les affectés, les pompeux, les prétentieux, les craintifs, les avides d’honneurs, de pouvoir et d’argent. Tous ceux qui affirment gravement que la vie n’est pas une récréation. Il leur en faisait voir des vertes et des pas mûres, leur tendant des pièges dont ils sortaient ridicules. La politique l’ennuyait énormément mais il la regardait de loin car il était très voyeur. Un voyeur oblique. Il ne regardait pas la France au fond des yeux mais en plein décolleté. Et il s’amusait de ce qu’il voyait. Comme il avait l’esprit de contradiction, il affichait des idées contraires à celles qui étaient à la mode. […] Les écrivains étaient devenus des facteurs ; ils devaient délivrer un message par ligne, sans rire.

Nous avons grand hâte de lire vos textes.

Limite d’âge : aucune.

Personnes sans esprit d’enfance s’abstenir.